Gamification rime-t-il avec manipulation ?
La gamification est-elle une technique de manipulation ? En d’autres mots, le jeu est-il un moyen comme un autre pour faire agir autrui sans son consentement et orienter sa pensée ou ses décisions ? Il est évident que l’utilisation de la gamification oriente le comportement des collaborateurs. Néanmoins, le recours au jeu permet avant tout d’augmenter leur engagement. L’objectif reste le même qu’avec des outils classiques d’entreprise : améliorer la performance dans tous les domaines. Selon ces domaines, les usages de la gamification sont plus ou moins visibles. De plus, il convient de distinguer le domaine du marketing du domaine des RH. En effet, selon les thèses contre la gamification, c’est la notion de participation obligatoire qui fait de la gamification une technique de manipulation.
Plusieurs exemples marketing classiques posent la question de la volonté du sujet face à l’utilisation de techniques de jeu. C’est notamment le cas au sein des interfaces applicatives comme Uber ou Linkedin. Dans le domaine RH, la question est tout autre. Ainsi, la notion de présence obligatoire est déjà au cœur des processus RH. Les formations ou les sensibilisations sont souvent imposées aux salariés. On les exposent généralement à différents formats, plus verticaux et rébarbatifs les uns que les autres. Aujourd’hui les entreprises vont chercher à utiliser le jeu pour augmenter l’efficacité de leurs politiques RH. Notons également que cette nouvelle démarche se fait le plus souvent au service des collaborateurs.
Uber et la course infernale
Les détracteurs de la gamification pointent du doigt l’utilisation du jeu comme technique de manipulation. C’est un fait, l’essor de la gamification va de paire avec l’essor des géants du web. Ils ont bâti leur Expérience Utilisateur en piochant dans la littérature sur le sujet. Et les interfaces de nos applications ont pleinement intégré les mécaniques du jeu pour renforcer leurs résultats. Premier exemple, la plateforme Uber a placé le jeu au cœur de son interface, posant des limites éthiques majeures.
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Si on décortique les mécaniques que le mastodonte a pu utiliser, on se rend compte qu’il a parfois orienté la volonté de ses chauffeurs. En effet, au moment où ils souhaitaient éteindre l’appli et se « débrancher » de ce rythme infernal, Uber envoyait une notification indiquant qu’en roulant quelques mètres de plus, le chauffeur pourrait prendre une course supplémentaire lui rapportant quelques euros de plus. Le chauffeur garde ici son libre arbitre et peut bien sûr ne pas prendre la course. Mais en présentant cette course supplémentaire comme un défi couplé à des euros sonnants et trébuchants, Uber incitait le chauffeur a accepter. Grâce à cela, Uber respectait son intérêt business : avoir toujours plus de chauffeurs. Au détriment de leur volonté.LinkedIn, profil expert en collecte de données
Deuxième exemple connu : la plateforme Linkedin. Elle utilise les mécaniques du jeu pour s’assurer de récupérer une information précise et exhaustive, gage de fiabilité et de revenus. Le puissant réseau social professionnel a deux objectifs business principaux. D’abord étendre son réseau pour être incontournable, mais aussi enrichir les profils de ses utilisateurs pour en avoir une connaissance fine. Les informations récoltées permettent, entre autres, de proposer des services payants à l’ensemble de la communauté (prospection, recrutement,..).
Afin de s’assurer que ses nouveaux membres livrent un niveau de détail avancé (expériences, compétences, recommandations, ..), Linkedin proposer un processus d’onboarding (montée en compétences sur la plateforme) gamifié. La plateforme vous encourage à devenir « Expert » de Linkedin en complétant votre profil. Une petite jauge de progression vous indique la marche à suivre pour atteindre le niveau suivant. L’utilisateur n’a aucun intérêt à remplir son profil, si ce n’est celui de recevoir un feedback positif en étant qualifié d’expert. Ce petit mécanisme simple permet à Linkedin d’obtenir plus d’informations que ce que l’utilisateur était peut-être disposé à fournir.
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Dans les RH, la donne est différente
Dans les Ressources Humaines, le paradigme est différent. Le jeu peut répondre à plusieurs usages avec un objectif plus positif. Il peut servir par exemple à faire progresser le collaborateur ou à améliorer ses conditions de travail. Dans ce cas, nous ne parlons pas de manipulation par la gamification.
Premier cas : le team building. Si l’objectif business premier du team building est d’augmenter la performance collective via une meilleure communication entre les équipes, il renforce le bien-être des collaborateurs et leur sentiment d’appartenance. Pour éviter que le team building soit appréhendé comme de la manipulation, il doit s’inscrire dans une politique RH globale. Si une entreprise, où les relations sociales sont tendues entre direction et salariés, propose un team building, il convient pour les dirigeants d’expliquer cet événement afin de lui donner du sens. Citons l’exemple de l’événement Collock lors des Free Days présenté dans l’article Philonomist. Il illustre que c’est l’envie de remercier ses salariés qui a poussé Free à organiser cet événement. Un merci sans arrière-pensée, bien accueilli par les salariés pour célébrer les succès passés.
Est-ce éthique de transmettre des contenus par le jeu ?
Dans le cas de la formation, la gamification vise à améliorer l’apprentissage des participants en les motivant. Ici, la question de la volonté se pose à nouveau. Est-ce éthique de transmettre des contenus par le jeu ? La réponse se trouve encore une fois dans l’approche RH globale de l’entreprise.
Il se peut que les formateurs ne communiquent pas sur le fait que c’est un jeu et n’expliquent pas la démarche et les intérêts que procure ce nouveau format. Dans ce cas ils peuvent prendre les salariés au piège d’une expérience pour laquelle ils n’étaient pas volontaires. En revanche, intégrer un jeu au milieu d’une formation obligatoire peut permettre de la rythmer et de rendre un moment figé plus dynamique et plus ludique. Ainsi on ne met pas la volonté de l’apprenant à l’épreuve. Le cancre du fond de la classe pourra toujours se mettre en retrait si le jeu ne lui convient pas.
Enfin, dans le cas de la sensibilisation à des sujets forts comme la sécurité au travail ou le handicap en entreprise, le jeu vise clairement à changer les comportements. L’objectif premier de la sensibilisation est en effet d’inciter les collaborateurs à prendre conscience des réalités pour changer leurs habitudes.